Où l’on reparle des jeux des îles
On en reparle tous les quatre ans. Comme les jeux olympiques ; comme la coupe du monde de foot. Les jeux des îles de l’Océan Indien ont lieu tous les quatre ans ; la dernière fois c’était à Maurice et cette année ce sera à Madagascar. Ce sera la onzième édition. En 2023 ça aurait dû se passer aux Maldives mais Dieu et le Covid en ont décidé autrement, et en août de cette année les jeux des îles de l’Océan Indien auront donc lieu à Madagascar. En 2027 ce sera le tour de Mayotte et ainsi de suite.
Les jeux des îles c’est sept nations, dixit Wikipédia, qui nous liste Les Comores, la Réunion, Madagascar, les Maldives, Mayotte, Maurice et les Seychelles. Ca fait bien sept îles, ou archipels. Sept nations, non, puisque la France est représentée deux fois ; une fois par La Réunion, une fois par Mayotte. Il n’y a donc que six Nations, et Wikipédia s’est planté, ce qui arrive aux meilleurs.
Vingt-quatre disciplines cette année, allant de l’athlétisme classique au volley, en passant par le beach volley (là Mayotte aura ses chances), par l’équitation, et enfin par le surf (ici par contre c’est plié). Les jeunes athlètes, évidemment, ne rêvent que de ça. Le voyage déjà, et l’hôtel, et l’atmosphère de vacances qui enveloppe le tout bien naturellement, et la compétition ; surtout la compétition. Avoir passé des heures à s’entrainer, des jours à s’impatienter, des années à se priver, vraiment se priver ! et pouvoir faire voir enfin, aux autres compétiteurs et à tout le monde dans la région ce dont les athlètes de Mayotte sont capables. Les athlètes donc, et leur encadrement se préparent. Ce sera du vingt-trois août au quinze septembre. On a donc le temps. Mais non, on commence quand même à en parler. Et ceux qui, en ce moment parlent le plus des jeux sont ceux qui les aiment le moins. Les plus radicaux d’entre eux aimeraient bien mobiliser la population de Mayotte pour que ces jeux n’existent pas, ou qu’à tout le moins Mayotte n’y participe pas. La raison de leur colère est simple ; si un athlète mahorais monte sur la première marche du podium le drapeau français n’est pas hissé et la Marseillaise n’est pas jouée. Au lieu de quoi on hisse le drapeau des jeux et l’hymne national est remplacé par un air de séga. Je rappelle, à l’intention des ignares en musique, que le séga est « le genre musical majeur des Mascareignes », dixit Wikipédia, et ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent cliquer sur le lien suivant : https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9ga. Ils y apprendront que les Mascareignes sont les îles de l’océan Indien, qui sont citées, mais sans que soient ajoutées Mayotte ni les Comores, ce qui signifierait que dans ces quatre îles le sega n’est pas un genre musical majeur. Wikipédia a raison sur ce coup là ; ni à Mayotte ni dans les trois autres Comores le sega n’est effectivement un genre musical majeur. Mayotte se voit donc imposer un hymne qui ne fait écho à aucune de ses traditions, ni à celles de la France, sa première allégeance. Et pendant ce temps-là les Seychelles ont leur hymne et leur drapeau, Maurice pareil, Rodrigue, les Chagos, les Comores idem, et si c’est un athlète réunionnais qui gagne, sa délégation a droit à la Marseillaise et au drapeau bleu blanc rouge. Mayotte non. Pour Mayotte c’est drapeau magnégné et hymne magnégné. On comprend que ça agace. Et ça agace d’autant plus que l’interdiction des symboles nationaux faite à Mayotte est inscrite noir sur blanc dans la charte des jeux de l’Océan Indien, gravée dans le marbre pour ainsi dire et qu’elle semble donc irrévocable. Quand on est Mahorais on réagit comment à cette interdiction ? Suis-je Français ou ne le suis-je pas ??!!
Le point de vue juridique de l’affaire, et la justification de cet ostracisme, c’est que l’ONU n’a jamais reconnu l’indépendance des Comores telle qu’elle a été bricolée, à savoir trois îles de l’archipel indépendantes d’un côté et Mayotte française de l’autre. Ainsi donc les trois Comores indépendantes s’appuient sur le droit international pour dire et répéter qu’une compétition internationale ne peut accepter que Mayotte représente la nation française puisque celle-ci est régulièrement condamnée par les Nations Unies pour son « annexion illégale de Mayotte ». Quand on est Mahorais, on s’en sort comment ?
Les plus radicaux refusent de transiger ; on modifie la charte ou on ne participe pas. Le reste de la population de Mayotte se partage entre les modérément indignés et les modérément je-m’en-foutistes.
La France a participé à la rédaction de la charte ; elle a donc imposé que Mayotte ne puisse ni hisser le drapeau tricolore ni chanter la Marseillaise en cas de victoire et lors des cérémonies officielles d’ouverture ou de clôture des jeux. Donnant ainsi raison aux Comoriens qui invoquent le droit international. Ce que dit ainsi la France à Mayotte c’est : « Vous êtes Français tant qu’on est entre nous, mais sitôt qu’on traite avec d’autres nations, soyez gentils, faites profil bas »
!?!?!?
Une fois n’est pas coutume, je donne raison aux radicaux. Parce que je suis vieux, que j’ai été patriote, élevé dès le plus jeune âge aux mamelles du général De Gaulle, le sens de l’honneur, une certaine idée de la France et tout ça. Et dans cette idée il y avait la fierté d’assumer sa nationalité et la honte lorsqu’on se défilait. Je crois que De Gaulle n’aurait pas du tout aimé cette charte des jeux de l’Océan Indien. Mais si, en plus d’être vieux j’étais Mahorais j’aurais alors une autre raison d’être très mécontent, autre raison tout aussi valable que la première et peut-être même d’avantage encore. Si je comprends bien, avec cette charte à la con, nous sommes Français mais il ne faut pas le dire trop fort, c’est ça ?! Quel genre de sécurité est-ce là ? La France nous dit Français, impôts compris, mais donne raison aux Comores, qui ne veulent pas en entendre parler ! C’est quoi ce binz ?! Cette ambiguïté révèle quoi ? Et surtout cette ambiguïté prépare quoi ?
Ce qu’elle révèle c’est que la France n’est pas à l’aise avec Mayotte française ; qu’elle se sent un peu péteuse, qu’elle baisse les yeux devant les Comores, bref qu’elle ne tire aucune fierté d’avoir Mayotte inscrite dans sa constitution. Le droit international a été bafoué, honte à la France ! On peut dès lors se demander jusqu’où ira l’engagement de la France à l’égard de Mayotte. La France tient-elle tant que ça à son cent unième département ? S’il advenait qu’un jour son intérêt la pousse à se séparer de Mayotte, celle-ci serait-elle protégée par la constitution ou bien la résolution 376 des nations unies s’appliquerait-elle de plein droit ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9solution_376_du_Conseil_de_s%C3%A9curit%C3%A9_des_Nations_unies
Mayotte est coincée entre deux idées du droit ; le droit international, très clair dans son cas, qui stipule qu’un état ex colonisé garde les mêmes frontières que celles qu’il avait avant la décolonisation, et là les Comores ont le droit (international) de réclamer Mayotte, même si l’administration commune des quatre îles a couvert une période extrêmement courte, et même si Mayotte était française depuis 1841, et que c’était la seule île dans ce cas ; l’autre droit étant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_des_peuples_%C3%A0_disposer_d%27eux-m%C3%AAmes#:~:text=Le%20droit%20des%20peuples%20%C3%A0,ind%C3%A9pendamment%20de%20toute%20influence%20%C3%A9trang%C3%A8re. Ce droit là est déjà moins clair, puisqu’il « est issu du droit international », lequel droit international déclare que « chaque peuple dispose ou devrait disposer du choix libre et souverain… » Un conditionnel inclus dans la définition . C’est pas bon signe un conditionnel ; c’est le champ ouvert à toutes les interprétations et les juristes comoriens ne manquent pas d’angles d’attaque de la décision qu’a prise la France d’accepter le choix mahorais. Bref on ne va jamais s’en sortir si on parle de droit, qu’il soit international ou local. D’autant plus que toute l’histoire humaine prouve que lorsque les pays les plus faibles invoquent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les pays dominants invoquent le droit des dominants à disposer des autres. A cette incertitude s’ajoute le peu d’empressement déployé par Paris pour développer Mayotte, que ce soit en termes d’infrastructures, de sécurité, de formation, d’éducation, etc. Rien n’est construit pour durer longtemps ; tout est fait pour que ça dure encore un petit peu, jusqu’à ce que… Jusqu’à ce que quoi en fait ? La France veut faire quoi de Mayotte ?
C’est une autre question fondamentale, sur laquelle nous reviendrons souvent. Pour l’instant ce sont les jeux des iles qui nous préoccupent. On fait quoi pour manifester notre mécontentement ? On n’y va pas ? Ni les athlètes, bien évidemment, ni leurs entraineurs n’accepteront de ne pas participer et si même une instance suprême, ou la rue, interdisait que Mayotte se présente, c’est sans doute toute la communauté de l’Océan Indien qui froncerait les sourcils et donnerait tort à l’île aux parfums. On passerait, et les Comoriens s’arrangeraient pour nous faire passer pour des guignols incapables de respecter une charte que nous avons signée, au tout début des jeux, dans un moment d’égarement ou d’absence de sens politique. La population de Mayotte n’interviendra pas dans le débat, peu habituée ni encline qu’elle est à se mobiliser pour autre chose que les difficultés quotidiennes que sont le coût de la vie ou/et l’insécurité. Les politiques diront peut-être deux ou trois choses s’ils y sont forcés mais attendront de pied ferme de savoir d’où vient vraiment le vent. C’est donc plié ; Mayotte n’est française que chez elle et ni son drapeau ni son hymne ne seront vus et entendus en cas de victoire. Bon, c’est comme ça ; denam’neyo*.
Il y a peut-être une solution ; non pas pour régler le problème mais pour manifester notre mécontentement d’être traités comme de la crotte de maki. Je suggère que les athlètes qui accèdent à la première marche ne se mettent pas debout lorsque retentira l’hymne qui leur sera imposé, mais qu’au contraire ils s’assoient sur la première marche. Il y a eu les poings levés de Smith et Carlos aux jeux olympiques de Mexico, il y aura les vainqueurs mahorais assis aux jeux des iles à Madagascar. Les supporters aussi restent assis ; et tout le monde garde la tête baissée pendant le défilé d’ouverture et la cérémonie de clôture, lorsque retentit l’hymne magnégné. Ainsi Mayotte participe, ainsi Mayotte ne discute pas l’absence de ses symboles nationaux, ainsi Mayotte montre au monde qu’elle n’est pas d’accord et fait voir qu’elle a de la retenue, pacifiquement, de façon tout à fait originale (du jamais vu je crois, lors de compétitions internationales), avec courage et avec dignité, bref Mayotte montre l’exemple d’une opposition significative mais sans violence, et rentre ainsi dans l’histoire du sport. Tout en mettant la France en face de ses responsabilités. Ce qu’elle mérite. Sans véritable pouvoir de réponse ni de rétorsion de la part de quiconque. Des ricanements sans doute, on peut s’attendre à ça, mais rien de sérieux. Echec et mat en quelque sorte. Et Mayotte plus forte, et plus respectée, parce que plus fière.
Je prie pour que cela soit.
- Denam’neyo (orthographe non garantie) est une expression mahoraise exprimant une attitude fataliste. Quelque chose comme « c’est comme ça », ou « c’est la vie » ; bref, quelque chose dont on doit s’accommoder.
Excellent papier !
Mayotte ne se laissera plus humilier par son propre pays. Les discriminations et les ruptures d’égalité, trop longtemps assumés par notre pays, doivent cesser. Le pays des droits de l’Homme ne peut imposer cela à une partie de son propre peuple. Soit on est Francais, soit on ne l’est pas. Le temps de la clarification est venu.
Situation de Mayotte très bien analysée.
Quel avenir pour Mayotte française au regard du droit international?
Bravo Marcel pour ce papier ! Et surtout merci, merci pour Mayotte !
Marcel, j’adore te lire car comme tes œuvres même le plus ignare y voit de la beauté, du génie, une grande réflexion, une analyse fine.